Gérard Lemaire (1942-2016)
Un poète prolétarien
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( publié le 12 octobre 2016 , par Jacmo dans dechargelarevue.com )
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On apprend par Jean-Pierre Lesieur via Facebook la mort de Gérard Lemaire survenue le 7 octobre à Concremiers dans la Vienne. Pas facile de reconstituer son parcours, puisqu’il existe peu de traces de son existence sur internet, et que son nom prête à hétéronymie. Cependant, il a croisé souvent la première partie de mon expérience de revues.
Il est né en 1942 à Saint-Quentin. Et c’est dans l’Aisne qu’avec l’équipe du Crayon Noir, nous le rencontrons à la fête de Merlieux et Fouquerolles. Il venait d’imprimer, tirée à la presse à bras avec la « communauté du Moulin », une revue, Nomades, qui comptera, je crois, deux numéros.
Après un compte d’auteur chez Bruno Durocher, il a publié chez Jean-Marc Carité/Utovie : entre autres recueils « L’aveu et le rictus ». Extrait de ce que j’écrivais à l’époque, pour présenter un premier choix de textes (Le Crayon noir n° 8 - Décembre 1974) : Lorsque l’on rencontre l’individu après lecture de ses poèmes, c’est toujours avec étonnement que l’on constate avec quelle justesse ils coïncident. Nous ne saurons oublier Gérard Lemaire récitant des poèmes. Tant de chaleur, de violence, de sincérité dans cette voix maladroite, émanant de ce corps embarrassé… Poésie paradoxale à la fois lyrique, tendre et violente par endroits où se mêlent prosodie assez classique et rythme syncopé.
Il publie en 75 le livre qui demeura essentiel dans sa bibliographie : « Journal d’un chômeur » chez Fédérop. Une ville de l’Est est en hiver. Une solitude. Superbe. Atroce. Les copains silencieux, les copains synonymes, qui se barrent, qui se terrent. Les boulots durs qui se suivent. Les parents généreux, insupportables. Les amies sans secours. Un itinéraire en rond et Gérard nous embarque dans sa chaloupe qui prend l’eau pour écoper ensemble. En 77, Le Crayon noir publie un nouveau recueil de poèmes : « Quelques veilleurs, quelques flamboyants ». En 78, c’est « Transits » à l’atelier du Gué où il donne quatre nouvelles écrites en Amérique latine où il est resté deux années (1969-1971), après deux années en Israël (1966-1967). D’autres recueils aussi chez Apostrophe et Edmond Thomas…
Retour au n° 8 du Crayon noir, c’est lui, Gérard Lemaire, qui soupçonne, sans en connaître alors les dessous , « l’affaire Cabral », à propos du recueil « Ouvrez le feu » aux éditions Plasma. Tristan Cabral a un profil de héros, écrit-il. Retirez la « savante » préface de Yann Houssin, il reste des poèmes que personne n’aurait lus s’ils n’avaient été de ce suicidé, de ce révolutionnaire-héros… Quelques mois plus tard, preuve était donnée dans la revue Le Reflux mélancolique de Yann Houssin, que celui-ci et Tristan Cabral ne faisaient qu’un. Imposture et scandale !…
Lorsque je crée Décharge en 1981, Gérard Lemaire fait partie évidemment des poètes qui ont table ouverte dans la nouvelle revue. Il sortira un Polder, le n° 11 : « L’Ékranrée », dont le titre restera énigmatique et sera au sommaire d’une dizaine de numéros de la revue dont un « édito » (n° 17). Parmi mes invités à l’émission Micropoésies sur Radio Ark-en-ciel FM Paris, j’ai le souvenir que ce fut l’un des plus laconiques qui soit. Je l’ai perdu de vue par la suite, après une brouille qui sera définitive, dont j’ai oublié les raisons. Il vivra à Ermont puis près de Le Blanc. Il continuera à publier beaucoup en revues, surtout à Comme en poésie et Verso, comme dans le dernier n° paru, le 166.
Bat’ d’Af’
Francisco Caballero
Poste restante à Tibériade
J’attends toujours son courrier
Il habite aujourd’hui une hacienda climatisée
Dans le quartier Nord de La Paz
Et il vend peut-être des bijoux Cartier à des gringos abasourdis
Par sa superbe indolence
Et son accent mandchou qui sait
Tous les horizons les traces
Les coupe-papiers les dés
Les laissés-pour-compte
Et les nababs
Se mélangent
Dans une boue aurifère malgré tout
Tous les chanteurs poussent leur la sans que personne ne leur demande
Toutes les katiouchka sonnent le miracle de la balistique
La guerre des oignons n’aura pas lieu
Avant au moins vingt ans Francisco
Il étudiait la source des miracles
Dans un institut Technotron parfait quelconque
Il partait tous les matins son baluchon
Sous le bras
Ou sur l’épaule peu importe
A cheval sur un bourricot imaginaire
Le kibboutz même était prêt à lui payer ses études jusqu’au bout
Comment s’en sort-il
Avec son grand-père ou son arrière arrière grand oncle
Cuisinier chef du roi de Prusse à Santa Cruz
Et milliardaire ci-devant
Premier citoyen à acquérir un batyscaphe à pressoir
Sur toute la péninsule
Greenwich-Village
Premier partout vous passerez sur mes épaules
Et les Suédoises brillaient en éclairs sous les cascades
et les couvées de sable chaud
Où en est-il Que devient-il
Dans quelle ballade
Pressée
Il brillait sur toute une planète d’émigrées pensives
A deux pas de la ligne bleue
On apercevait les tourelles à manche court
Sur le bout du territoire adverse
Les oranges pleuvaient dès six heures du matin
Publieé en Décharge n° 30 (novembre 1985)
Gérard Lemaire écrivit de la poésie d’un bout à l’autre de sa vie, fut spécialiste de l’écrivain autodidacte roumain Panaït Istrati et se revendiquait fièrement comme un poète prolétarien.
auteur:
Jacmo =
Jacques Morin : cofondateur des revues Le Crayon noir (1973-1981) et Le Désespoir, précisément (1979-1980) et fondateur de la revue Décharge en 1981 ( www.dechargelarevue.com ).
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